LE  SPECTATEUR PARTENAIRE 

 

DE L'ACTEUR

 

suite à une "rencontre publique"organisée par le CNRS et

 le théâtre National de la Colline  -  Le 14 avril 1999. 

 

Rencontre animée par  

     

Marie-Madeleine MERVANT-ROUX

 

notes préparatoires à la participation d'Agnès Dewitte

 publication / revue  "Théâtre public"  N° 152 

 

  

LE SPECTATEUR PARTENAIRE DE L’ACTEUR ?

 

Le spectateur, « quatrième créateur », « partenaire de l’acteur », à travers quelles formes anciennes ou récentes, quand l’est-il et ne l’est-il pas, quand peut-il être réducteur.

Le théâtre n’est pas un but en soi, c’est un moyen.

Le théâtre n’est pas une fiction de lieu ou de temps, où certains feraient croire à d’autres ce qui n’est pas. C’est un lieu citoyen de rencontre entre individus qui ont choisi d’échanger des propos sur une question précise. Pour des raisons de commodité, certains, dont c’est le métier, sont payés pour choisir un support, une illustration du propos (le texte de l’auteur) et essayer pendant deux ou trois mois de mettre en évidence les divers regards possibles sur la question. Pour mieux illustrer le propos, pour le rendre plus engageant, ils usent de costumes, de décors, de sons, de lumières.

Ensuite, viennent ceux, qui vont, comme un révélateur photographique, donner un sens à ce travail. Ils quittent leur propre travail, traversent la ville, paient leur place et s’installent dans un fauteuil. C’est la représentation.

Acteurs et spectateurs (et techniciens, habilleuses,…) sont tous dans un seul et même lieu où l’hypothétique 4ème mur est repoussé jusqu’au fond de la salle, derrière les spectateurs, comme n’importe quelle pièce d’une maison comporte 4 murs. Pour des raisons de commodité, ceux qui ont préparé le propos se placent dans la lumière et les autres regardent. Mais, contrairement aux apparences, le récepteur n’est pas tant le spectateur, que l’acteur.

 

Tout le travail qui a été préparé en amont est un conducteur aussi fignolé que possible, mais le réel propos est celui de la représentation, propos fait d’action-réaction entre spectateurs et acteurs. C’est ce qui fait que deux représentations sont différentes l’une de l’autre, que l’acteur peut sans éprouver d’ennui mettre et remettre cent fois sur le métier son ouvrage. Et s’il vient à s’ennuyer, c’est probablement de sa faute et qu’il a dû, à un moment, oublier de se mettre à «l’écoute».

Une salle constituée de spectateurs novices ou d’habitués, de spectateurs forcés (représentation scolaire…), de publics de quartiers, de foyers d’insertion, d’associations caritatives, d’intellectuels, d’enfants, toutes les combinaisons mathématiquement possibles de tous ces divers publics, agit différemment sur la représentation selon sa constitution. Salles homogènes ou hétérogènes (côtoiement d’intellectuels et de public novice, d’adolescents et de personnes âgées, de groupes et d’individus isolés, de classes déplacées de « force »)

Même les éléments extérieurs influent sur la représentation : que des grèves aient compliqué le trajet pour venir, que le ciel soit gris, qu’il pleuve, que ce soit l’hiver ou l’été, que la façade du théâtre soit triste, que la caissière soit mal aimable, que les sièges soient inconfortables ou le soient trop… Que la ventilation de la salle soit trop bruyante, que le chauffage soit trop poussé… ou pas assez…

Vivre, « entendre » et voir les mêmes événements que le spectateur, est essentiel à l’acteur : le projecteur qui s’éteint, la sirène d’ambulance qui passe dans la rue voisine, le fauteuil qui couine, la quinte de toux communicative entre quatre spectateurs, les deux étudiants qui commentent entre eux, celui qui dort… Si le comédien perd un seul instant « l’écoute » de cette réalité, il perd le fil de la représentation. De même si, arrivé en coulisse, il relâche sa vigilance, la représentation continuera sans lui, imprévisible. Quand il reviendra, il jouera une autre représentation que celle qui s’est poursuivie sans lui. Comme une mouche dans un ballet de coccinelles.

La représentation est pour l’acteur, une course de vitesse avec le spectateur, comme une masse d’individus anonymes, mais avec chaque spectateur, chacun en particulier. Le spectateur pense et agit en son nom propre. Son voisin de fauteuil agit et pense différemment. L’acteur doit « entendre » et répondre à chacun. Que le spectateur puisse lui dire : « Vous me parliez à moi-même. »

Le théâtre est l’un des derniers lieux où des êtres humains peuvent se rencontrer et échanger, sans artifice et sans mensonge, leurs pensées les plus essentielles, se reconnaître ou se diviser.


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